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Zycie jest cudowne
26 janvier 2011

Comptes à régler

Dernièrement j'ai des comptes à régler de manière indirecte avec des personnes qui ne me liront jamais, c'est-à-dire qu'au lieu de régler quoi que ce soit j'écris, je crie, je chahute dans mon coin sans poser le problème en face de la personne en question. Pas que si j'étais dans la possibilité de le faire, je ne le ferais pas, mais je ne peux pas le faire, ou parce que le compte que je tiens à régler est tellement vieux que seul moi y apporte de l'importance, ou parce que parler avec eux se termine toujours de la même façon, c'est-à-dire une dispute stérile et sans intérêt. A moins que je cherche à rationaliser la chose et qu'en réalité je suis lâche dans mes relations et je n'ose pas confronter les gens. Mais après tout, pourquoi pas.

J'utilise ici le prétexte des comptes à régler pour parler d'une chose qui me tiens plus à coeur, et qui sera développée plus tard dans cet article. Pour l'instant, commençons par ce qui m'énerve, donc me motive à communiquer.

J'ai eu, il y a quoi, cinq? Quatre ans? Une discussion avec mon père, quand il m'a demandé pourquoi je passais mon temps à écrire pendant les vacances que je passais avec lui, vision que je critiquerais parce que je n'ai pas rempli plus d'un cahier alors; à l'époque, ma répartie était encore plus limitée qu'elle ne l'est aujourd'hui, et j'ai cru intelligent de répondre que c'était parce qu'il y avait toujours quelque chose à écrire, à quoi il a répondu qu'il pensait de son côté qu'il y avait toujours quelque chose à quoi penser. Ces deux affirmations ne se contredisant pas directement, et s'il y a de quoi penser il y a toujours de quoi écrire (quoique je pensais, de mon côté, beaucoup plus aux sensations qu'aux réflexions), cependant connaissant mon père, qui a abandonné l'idée d'écrire après avoir échoué à publier son roman, c'était surtout histoire de me dire que ce que j'écrivais n'avait pas forcément de sens, ou qu'en tout cas le temps ne s'y prêtait pas. Tableau de la situation: je dois attendre 6 heures dans un stand où passent deux personnes par semaine, muni de cinq chaises en plastique et d'une table, un stand vide, sans activité possible autre que celle de remplir des sacs de sable sous un soleil brûlant; inutile de préciser que j'ai tout de même de quoi écrire, quand je ne suis pas en train de lire ou de regarder bêtement le chiot qui s'amuse ou qui dort.

Cela, je l'ai pris, que ce soit naturel ou non, comme une insulte à l'écrit. Bien sûr qu'il y a toujours quelque chose à penser, mais la pensée ne se partage pas. La pensée ne se conserve pas, il n'y a pas d'art de la pensée, il n'y a pas de manifestation de la pensée, penser beaucoup n'est pas penser bien, et il est plus facile de penser que d'écrire, la preuve évidente étant qu'il est impossible d'arrêter à un moment ou à un autre de réfléchir quand pour écrire, il y a déjà les contraintes matérielles, mais aussi les contraintes du style, du langage, de l'orthographe, de la beauté; écrire force toujours une réflexion sinon plus mûre, plus fine, du moins répétée et donc plus travaillée. Il ne s'agit pas d'oublier ce qu'on écrit parce que ça peut nous retomber dessus n'importe quand, quand penser se fait de manière intime, ce qui nous permet des hontes et des dégoûts secrets; il n'y a aucune part de responsabilité à la pensée. Je peux penser tous les jours avoir envie de violer un enfant, ça n'a en aucun cas le même effet que de l'écrire. Je ne vois pas en quoi la pensée serait plus noble que l'écriture.

Sans vouloir démontrer que la pensée est inférieure à l'écriture, je considère que ce sont deux choses différentes, et la manière dont il me l'avait dite était une désapprobation de mon acte d'écrire - ce que mon orgueil a beaucoup de mal à comprendre; je suis tout à fait à même de ne pas m'emporter si on me dit que mes vers sont mauvais, je ne ferais de procès à aucun Orgon à leur sujet, ni même pour ma prose, quelle que soit l'affection que je porte à l'agencement de mes mots. Le problème que ça me posait, c'est que j'imaginais alors une espèce de position, où, à la place d'écrire, je ne ferais que penser, à la place de partager je conserverais tout pour moi, or je me crois suffisamment solitaire pour qu'on ne m'exile pas dans un mutisme à deux niveaux qui me forcerait à communiquer par signes.

Venons-en à cela. Il y a toujours quelque chose à penser, il y a toujours quelque chose à écrire, mais le fait est qu'il y a toujours quelque chose à dire. Or s'il est déjà difficile d'écrire souvent, à cause des contraintes nécessaires et du dégoût que l'on s'inspire relisant nos misérables lignes, parler me semble poser encore plus problème. Les mêmes contraintes de style, de réflexion, de retour des autres et de soi s'y retrouvent sans aucun des bénéfices sinon celui de l'immédiateté du lien - qui les vaut bien toutes d'une certaine manière. Mais ça n'empêche pas la difficulté à engager le dialogue sur le sujet qu'on veut engager, qui souvent n'a rien à voir avec les banalités qu'implique chaque rencontre, qui pourrait ne pas intéresser celui d'en face, à moins que lui-même n'ait déjà lancé le dialogue sur le sujet qui l'a intéressé lui, qu'on écoute, jusqu'à ce qu'il ne soit plus possible de discuter de ce qu'on voulait non pas parce qu'on a fini par s'intéresser à ce qui était dit en face, mais parce que le temps a passé et que la discute doit finir.

Maintenant, imaginons qu'on soit arrivé à prendre finalement la parole; là se pose un autre problème: l'immédiateté du lien ne laisse pas le temps de formuler ses phrases de la façon la plus exacte qui soit, à moins de parler aussi lentement qu'un enfant dégénéré, ce qui n'aide pas beaucoup à l'impression qu'on veut faire. Et l'ensemble des situations possibles en dialogue nous empêche de nous y préparer à l'avance, c'est-à-dire qu'on se retrouvera forcément à un moment ou à un autre dans une situation où on ne sera pas quoi répondre. Ce genre de situation m'arrive très souvent, c'est peut-être pour ça que ça me touche autant, et ça me touche d'autant plus quand je veux changer le cours de la conversation ou en engager une; il m'est tout simplement impossible de réussir à le faire.

Il s'agit en fait plus du problème d'allier les attentes des deux parties en conversations, et donc de deux parties en général...

J'ai dix-huit mille choses différentes à dire à dix-huit mille personnes différentes, entre ce que je ressens, ce que je pense, ce que je veux savoir, ce que je désire, ce que je partage, ce à quoi je tiens. Beaucoup de je mais ces je sont destinés à d'autres, et ont étés pensées dans l'intention de ces autres.

J'ai une amie qui va mal depuis un certain temps et j'ai envie de lui dire à quel point elle compte pour moi, à quel point je l'estime quand elle passe son temps à se dénigrer, et quand rien ne va pour elle j'ai envie de lui faire voir l'horizon qui l'attend après les horreurs qui se présentent à deux pas. J'en ai une autre qui se trouve dans une situation beaucoup plus difficile, et qui ne le vit pas mieux; mais que je ne peux pas aider parce que je ne peux pas la voir. J'aimerais la voir pour lui rappeler que je suis là pour elle, et qu'elle ne doit pas l'oublier. J'en ai encore une autre que je n'ai pas vue depuis un laps de temps si long que j'ai oublié de le compter, et qui, elle, compte beaucoup pour moi, qui elle est sortie d'une impasse et que je n'aimerais pas la voir retomber dedans par mégarde, quand je sais à quel point je compte pour elle. Et je peux continuer comme ça avec autant de personnes que les personnes que je connais... Et ce serait tout aussi infantile que de vouloir tout faire, tout voir, tout découvrir, quand la vie sur terre n'offre qu'une possibilité limitée d'expériences, dûes principalement aux redondances de la vie et à son temps limité, aux contraintes que subit chacun d'entre nous, avec les moyens qu'il se donne parmi ceux qui lui sont donnés d'avoir pour les dépasser. Je ne pourrais pas, évidemment, tout dire à toutes ces personnes, ou parce que je suis lâche, ou parce que je choisis de ne pas le faire (ce qui revient presque au même parce que je m'en plains ensuite). Mais il est assez évident que j'aimerais.

Quand je commence à penser comme ça, il y a toujours quelque chose qui cloche. Je me perds et je ne sais plus ce que je voulais dire - exactement comme quand je suis en train de parler, que j'ai toutes les données en tête mais aucun moyen de les transmettre et que je finis avec une réponse incomplète. Et à ces moments-là, logiquement, je me tais.

Le seul problème c'est que je ne trouve jamais cette haine de moi-même qui s'empare de moi à certains moments, quand je parle, quand je veux parler et que je n'y arrive pas, qui délie ma langue, qui aiguise mon esprit, qui accélère mon débit et consolide mes constructions de phrases, avec laquelle j'arrive enfin, d'une traite, à déclarer tout ce qui me traînait sur le coeur, un souffle souverain qui chasse le brouillard de mes pensées et qui éclaire immédiatement tout le problème. Le problème, c'est que cette colère est difficile à invoquer, qu'elle ne vient que dans des moments d'intense dégoût; or il m'est assez difficile, au vu de ma nature en apparence tranquille, de m'emporter en face de quelqu'un; j'ai toujours l'impression que je m'emporte contre l'autre (ce qui n'est pas tout à fait faux: comment se fait-il que je ne puisse pas communiquer avec lui à qui je tiens tant?), et cela donne en effet toujours cette impression. D'autant plus qu'il suffit alors d'une brise pour que cette haine lumineuse bascule à nouveau dans un mutisme stupide, me renvoyant de mes nuages de colère jusqu'au plancher des vaches, voire dans les grottes de Lascaux.

J'attends avec impatience le jour où, aveugles et muets, nous serons condamnés à communiquer par écrit, portant avec nous des tablettes tactiles permettant de discourir grâce au braille, passant de la vivacité et de la légèreté de la conversation à la lenteur réfléchie de l'écriture.

(Bien sûr, tout ceci est faux; mais le dégoût ne rend pas cette image tout à fait déplaisante)

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Commentaires
Zycie jest cudowne
  • Ou la vie est belle en français. Comment ça la vie est belle? Mais la vie est moche! Le monde est moche, les gens sont cons, gros, chiants et ils puent! Oui les gens sont cons gros moches chiants et puants. Mais la vie est belle. Enfin j'espère.
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