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Zycie jest cudowne
11 février 2011

Imaginons

Souvent, alors que je devrais être en plein effort intellectuel sur un sujet particulièrement ardu, je m'ennuie et me surprend alors à rêvasser à d'autres problèmes tandis que mon sujet de réflexion précédent se résout de lui-même. Ces sujets seconds, élaborés généralement à partir de ce qu'il m'est donné de voir depuis mon siège ou mon lit, sont à mon avis de la plus vive importance et méritent absolument qu'on s'y attarde en toute priorité, devant toute cure au problème du cancer, de la guerre et de la famine.

La pensée la plus récente que j'ai eue de ce type consiste en cette question: si on venait au hasard à me faire un canular, comment pourrais-je le distinguer de la folie? Imaginons le tableau suivant: un type âgé vous accoste dans la rue, vous dit qu'il est votre père. Malgré vos dénégations, il agit comme s'il était vraiment père d'une personne exactement comme vous, et se fâche que vous ne le reconnaissiez pas. Arrivent d'autres gens que vous n'avez jamais vu et qui disent vous connaître, qui vous racontent toute une vie à laquelle vous semblez appartenir d'après eux - mieux, ceux que vous connaissez ou sont tout à fait absent ou affirment qu'il en a toujours été ainsi. Vous avez donc deux choix: ou tout ce beau monde vous fait une farce ahurissante ou bien vous êtes fou. Comment faire la différence dans ce cas?

A supposer que vous soyez fous, il semble toutefois que vous soyez capable de produire un raisonnement construit. Vérifiez tout de même autour de vous qu'il ne soit pas entièrement farfelu, et si la réalité n'obéit pas à vos règles*, ou d'une manière différente à chaque fois, il est assez clair que vous êtes mal en point. Sinon, continuez sur votre lancée: vous êtes peut-être fou, c'est peut-être un canular, mais au moins vous pouvez raisonner, ce qui n'est déjà pas mal. Cela exclut en tout cas les folies les plus débilitantes et il ne s'agit plus que d'un bête problème d'identité, de mémoire et de comportement qui ont étés ou supprimés ou modifiés ou inventés de toutes pièces.

(*concentrez-vous sur des règles physiques inaltérables, comme la force de gravitation, le mouvement d'un corps dans l'espace...les autres règles étant facilement manipulables, et les trucages étant généralement repérables)

A moins que votre folie vous rende incapable de distinction entre le normal et l'anormal, bref, si elle n'affecte pas vos perceptions immédiates, vous pouvez vous rendre compte que vous êtes fou. Dans le cas contraire, vous serez incapables de faire la différence entre état de folie et de santé d'esprit, supposez donc que vous êtes sain afin de vous occuper jusqu'à ce qu'on vous enferme ou qu'on vous soigne.

A supposer que vous êtes sain d'esprit, vous pouvez tout de même être victime d'une amnésie extraordinaire. Cherchez un médecin et demandez-lui conseil; à moins qu'il ne fasse partie du canular, il vous étudiera correctement. Il pourra alors vous dire si vous êtes fous, mais n'acceptez pas ses arguments, pouvant le dire même si vous êtes sain d'esprit en tant que membre du jeu. Refusez également toute incarcération, mais prenez toutes les drogues qu'il vous propose, qui ne seront mortelles que dans le pire cas de canular (et là, sans doute, mieux vaut mourir de cette manière que de voir la suite).

Si maintenant vous doutez encore, patientez jusqu'à ce que l'un de ces événements arrivent: on vous annonce que le canular est terminé; on vous enferme dans un asile psychiatrique et vous perdez conscience jusqu'à la fin de vôtre vie. Si vous n'êtes pas patient, tentez d'abattre l'un ou l'autre des personnages qui vous "connaissent", ce qui précipitera les choses soit vers A, soit vers B.

Enfin, rappelez-vous que si le canular se termine, il se pourrait qu'il vous ait laissé des séquelles et que la réalité qui s'impose alors à vous soit incompréhensible. Répétez alors toutes les démarches une fois de plus afin d'être sûr et certain d'être sain et de pouvoir marcher tranquillement dans le plus normal des mondes qui soit.

Bonne journée!


Pour la route, voici Le mal de dos:

J'avais toujours eu ce malheur désagréable de devoir rester debout durant mes longs trajets de bus. J'avais depuis longtemps abandonné le projet de m'asseoir naturellement, devant traverser la ville aux heures de pointe sur un trajet où le transport était plein.

Je voulais ruser; une fois, j'ai prétexté être enceinte, à quoi les passagers ébahis me rappelèrent que j'étais barbu. Je me suis fait passer pour aveugle mais on me connaissait semble-t-il déjà trop pour être dupé par ma supercherie. Empruntant les enfants de ma soeur, je voulus m'en servir pour reposer mon derrière: peine perdue, seules les fesses des mômes purent être posées. Enfin, tenant à mes membres que je ne pouvais amputer sans les faire auparavant infecter par la gangrène, et refusant de risquer ma vie à la guerre afin d'obtenir la mutilation idoine, je me résignai un certain temps.

C'est un ami médecin qui m'apprit que certaines maladies du dos pouvaient permettre une autorisation à éjecter tout impertinent du siège que je désirais tant. Etant un peu frauduleux sur les bords, il me délivra un formulaire certifiant que j'étais malade d'osthéoparodisis, une maladie rare et incurable dont la seule contrainte était de devoir rester assis durant les trajets de bus et de voiture, sous peine de voir ma fragile colonne vertébrale se briser en mille morceaux. Je le fis tamponner à la mairie et après l'avoir amené aux bureaux de la compagnie de transports, j'obtins mon passe VIP accompagné de la télécommande éjector 5000 destinée à virer tout passager récalcitrant à me céder la place.

Ma vengeance était prête; et, pour en montrer à ce ramassis d'égoïstes qui m'avaient fait voyager debout durant tout ce temps, je voulais en éjecter un gros, un bien fort et présomptueux qui me rirait au nez. Cependant, je voulais avoir l'air légitime dans ma démarche, et préparai assidûment les attestations nécessaires combinées à un jeu d'acteur servant à paraître le plus pitoyable, mais surtout le plus irritant possible,afin que le grand dadais que j'irais renvoyer refuse ma demande.

Enfin j'entrais dans le bus en question, savourant mon moment de gloire. Je vis un gorille à l'air assez bête et m'adressa à lui en ces termes:
- Mon cher monsieur, je suis navré mais je suis malade au plus haut degré de mon dos et, ne voulant pas incommoder des personnes plus faibles que vous, j'ai choisi de vous demander de me céder votre place.

Il demanda à voir le certificat médical que je tenais évidemment sur moi, et le voyant froncer les sourcils durant la lecture, je me saisis de l'éjector 5000, quand il me répondit finalement, radieux:
- Mon ami, vous avez une chance folle! Il se trouve que je suis le plus grand kinésithérapeute du monde, revenant d'une conférence portant exactement sur le mal dont vous souffrez, auquel j'ai trouvé tout récemment un remède miracle en la présence de mes mains et d'un massage extraordinaire.

Ceci dit, il se leva, me plaqua sur son siège et commença à masser mon dos en continuant de raconter les miracles de la cure et la chance que j'avais d'être tombé sur lui. Quoique masser ne correspond pas au tourment que j'endurais: je crus qu'il me fracassait l'épine dorsale, écrasait chacune de mes vertèbres, kick-boxait ma moelle épinière; d'ailleurs je devins tétraplégique, la cure du bonhomme n'étant semble-t-il pas tout à fait au point. "Eh bien, merci en tout cas de m'avoir montré où était mon erreur!" fut son unique pardon.

Enfin, maintenant j'ai toujours un siège en bus.

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Commentaires
Zycie jest cudowne
  • Ou la vie est belle en français. Comment ça la vie est belle? Mais la vie est moche! Le monde est moche, les gens sont cons, gros, chiants et ils puent! Oui les gens sont cons gros moches chiants et puants. Mais la vie est belle. Enfin j'espère.
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